par J. C. (Jack) Lynch, 65 ans
Tout allait si bien au début des années 1990, notre équipe avait remporté le championnat provincial de curling masculin senior du Québec en 1992, j’avais aidé à convaincre le Comité international olympique de faire du curling un sport olympique et je me préparais à participer aux Jeux Olympiques d’Atlanta à titre de consultant pour la CBC et Radio Canada.
Mon bilan médical de 1994 allait tout bouleverser. Je venais d’avoir 65 ans et mon médecin avait décidé de mesurer mon taux d’ASP. Résultat : l’examen révélait une concentration de 8,2 – chiffre deux fois plus élevé que la concentration dite « normale ». Après avoir passé un examen rectal numérique, un urologue a détecté « la présence d’un nodule », puis une biopsie a confirmé le diagnostic de cancer de la prostate.
« Puisque j’ai le cancer, me suis-je dit, renseignons-nous et établissons un plan. » On m’avait informé qu’il faudrait 10 ou 12 ans au cancer pour me tuer, même si je ne faisais rien pour me soigner. Je ne voulais pas angoisser ma famille.
Après avoir regardé une émission de télévision au poste PBS, après avoir beaucoup lu sur le sujet et consulté deux urologues qui n’étaient nullement encourageants, je me suis retrouvé à l’Hôpital Général de Montréal. Le 25 mai 1995, après trois mois d’hormonothérapie, je subissais une prostatectomie radicale.
Durant trois ans, tout s’est bien passé : voyage à Atlanta tel que prévu, pas de symptômes et mon ASP s’établissait sous la barre du 0,1. J’avais presque le contrôle total de ma vessie et je jouais souvent au golf et au curling. Toutefois, j’étais devenu impuissant, ce qui n’excluait pas la tendresse entre ma femme et moi. Comme nous avions de grands enfants et nos premiers petits-enfants, nous l’acceptions.
Or, vers la fin de 1998, mon taux d’ASP s’est remis à grimper et j’ai dû subir une scintigraphie osseuse. L’examen révélait la présence d’une ombre en haut du sternum que le radiologue décrivait comme « possiblement liée à des métastases osseuses ». On m’administra une hormonothérapie pour affamer les cellules cancéreuses qui s’étaient évadées. Mon taux d’ASP retomba sous 0,1 et se stabilisa jusqu’en septembre 2001. Puis, il recommença à grimper de façon exponentielle. Pourtant, j’étais en pleine forme et très actif, et je me préparais à servir de guide à une délégation de 24 amis pour un voyage d’un mois en Nouvelle-Zélande et en Australie. Nous faisions partie d’un groupe appelé The Friendship Force, qui organise des visites dans le but de faire des échanges internationaux. L’ombre sur mon sternum était oubliée.
En décembre, une bosse de la taille d’une noix est apparue à l’endroit même où l’ombre avait été détectée trois ans auparavant. Il a fallu changer mes médicaments à deux reprises, mais la masse continuait à grossir et mon ASP à grimper. Vers la mi-avril 2002, la tumeur est devenue de la grosseur d’un petit citron, et une biopsie par aspiration révélait qu’elle était maligne. On m’a alors adressé à un radio-oncologue pour enrayer la tumeur et à un oncologue pour que je commence une chimiothérapie. Cela faisait maintenant huit ans qu’on avait détecté mon cancer et, exception faite de l’opération, ma vie s’était déroulée presque normalement. Nous avons terminé sans incident notre voyage dans le Pacifique Sud. Notre vie sociale était de plus en plus active. Par l’entremise du groupe Friendship Force, nous avions des dizaines de nouveaux amis. Je n’avais pas encore éprouvé de douleurs.
Mon expérience avec la chimiothérapie (taxotere) s’est révélée une toute autre aventure. Non pas que les douleurs sont lancinantes, mais le traitement est épuisant. Durant les deux semaines suivant chaque traitement, je vivais comme un zombie. À trois reprises, j’ai dû être hospitalisé deux jours pour faire grimper le nombre de globules blancs. Par ailleurs, mon ASP était tombé en chute libre à 0,3 et les métastases osseuses qui avaient commencé à apparaître dans ma cage thoracique demeuraient relativement stables. À Noël, nous avons pu accueillir à la maison nos trois enfants, leurs épouses et nos quatre petits-enfants.
La chimiothérapie n’est pas un traitement curatif. En 2003, mon ASP a recommencé à grimper, les métastases osseuses à se propager lentement et j’ai commencé à éprouver les infâmes douleurs osseuses dont on parle tant.
Dans mon cas, cela ne m’empêchait pas d’avoir un mode de vie presque normal. Toutes les trois ou quatre semaines, des douleurs lancinantes se logeaient dans mes côtes, dans mon sternum ou dans mon coccyx. Toutefois, à l’aide de médicaments antidouleur, parfois pris à de fortes doses, je parvenais à surmonter l’épreuve et les douleurs disparaissaient complètement en 36 heures.
Je ne me raconte pas d’histoires. Je sais où ce chemin me mènera – à moins d’un miracle ou de la découverte d’une « pilule magique ». Mais nous marchons tous dans la même direction. J’aimerais rendre ces moments plus facile à ma famille et à mes amis. J’ai l’impression que cette situation les angoisse plus que moi.